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Antoinette Rouvroy, philosophe et chercheuse en droit à l’Université de Namur, étudie de longue date les enjeux politiques et sociaux des algorithmes. Nous lui avons demandé de quelle manière les systèmes d’intelligences artificielles (IA) travaillaient et transformaient actuellement nos démocraties. Et le danger des algorithmes, ou plutôt du « capitalisme sous stéroïde algorithmique », ne semble pas tant celui de perturber l’information des citoyen·nes ou même les élections. Mais, en flattant notre hyperindividualisme, ces processus nous fragmentent et court-circuitent ce qui fonde même les démocraties : le besoin et le désir de commun. Un moment constitutionnel pourrait bien constituer l’antidote à cette colonisation des esprits par le numérique marchand.
On ne peut pas comprendre le développement phénoménal des algorithmes aujourd’hui sans saisir les reconfigurations du capitalisme de ces 20 dernières années. C’est ce que montrent deux enseignant-chercheurs, Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco, respectivement à l’Université Concordia (Montréal) et à l’Université de Saint-Paul (Ottawa) dans "Le capital algorithmique".
Ce livre développe en 20 thèses de quoi réfléchir de manière puissante, critique et multidimensionnelle les logiques algorithmiques et les intelligences artificielles qui bouleversent nos vies actuellement, le plus souvent au profit du marché. Selon eux, les changements techniques, économiques, sociaux et politiques sont tels que nous sommes passés à une nouvelle phase du capitalisme. Celui-ci, devenu algorithmique, affecte de multiples sphères de la société. Dont le fonctionnement de nos démocraties.
Tant la figure de l’algorithme que celle de l’intelligence artificielle (IA) bénéficient d’une popularité sans pareille dans les médias. Cet engouement est d’autant plus surprenant en regard de la technicité de ce thème. Malheureusement, ce traitement médiatique relègue souvent l’analyse du sujet à des considérations techniques au détriment de ses dimensions sociales. Pourtant, si ces artefacts informatiques étranges méritent bien d’être questionnés au sein de l’espace public, c’est pour l’influence qu’ils peuvent exercer aujourd’hui sur nos modes de vie et nos opportunités de faire société. Lorsque l’on parle à la fois d’influence et d’IA, c’est la thématique des « biais algorithmiques » qui fait généralement les gros titres. À travers cet article, nous allons essayer d’insérer un peu de nuance dans ce débat sans pour autant négliger certaines technicités.