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Seul le temps pourra donc confirmer ou infirmer le caractère anthropologiquement révolutionnaire de l’IA. Une chose est sûre cependant : l’organisation sociale dont émane l’intelligence artificielle actuellement dominante, celle que l’artiste et essayiste James Bridle nomme « corporate AI », n’a strictement rien de révolutionnaire, tant elle repose sur une « industrie extractive » qui exploite violemment les ressources naturelles et la main-d’œuvre bon marché. Les sources d’informations sur la réalité de ce système ne manquent plus et se multiplient. Les conditions de production de l’IA interrogent donc notre rapport collectif à l’altérité humaine et non-humaine et font de l’intelligence artificielle un enjeu moral autant que politique, technique et économique. C’est cet enjeu moral que je voudrais détailler ici en développant l’idée que l’IA dominante telle qu’elle est faite est un dispositif rendu possible par notre « froideur bourgeoise », pour reprendre le concept du philosophe allemand Théodore W. Adorno.
De la même façon que la mise à mort des animaux d’élevage se fait dans des abattoirs situés en périphérie des villes, c’est-à-dire à l’abri des regards, nous ne sommes jamais confronté·es en personne aux maltraitances et aux destructions qu’occasionne l’industrie de l’IA. Loin des yeux, loin du cœur, donc. Cette distanciation morale est d’ailleurs renforcée par le mirage d’immatérialité qui auréole les systèmes d’intelligence artificielle.